Article de PaperJam, le 25/01/2021, par Sébastien Lambotte

GÉRARD HOFFMANN (PROXIMUS LUXEMBOURG)

«Le numérique, c’est avant tout un état d’esprit»

Gérard Hoffmann, président honoraire d’ICT Luxembourg, membre du Board Group Digital de la Fedil. (Photo: Eric Devillet / archives)

Gérard Hoffmann, président honoraire d’ICT Luxembourg, membre du Board Group Digital de la Fedil. (Photo: Eric Devillet / archives)

Président honoraire d’ICT Luxembourg, membre du Board Group Digital de la Fedil, Gérard Hoffmann revient sur les conséquences de la crise. Le regard tourné vers 2021, le CEO de Proximus Luxembourg évoque aussi les challenges à venir: évolution vers le cloud, déploiement de la 5G, développement des compétences numériques…

Quel regard portez-vous sur cette année 2020?

Gérard Hoffmann – «Nous avons tous été confrontés à un choc aussi violent qu’inattendu, dont les répercussions sont encore difficiles à évaluer. Si l’on s’attarde sur le secteur ICT, les conséquences de cette crise doivent être nuancées. Les opérateurs de télécommunications se sont révélés être des acteurs essentiels pour la traverser. Les canaux de communication qu’ils gèrent ont été fortement sollicités pour permettre le travail à distance. Il ne faut pas pour autant croire que les résultats de ces acteurs vont exploser. Les opérateurs ont dû investir considérablement pour adapter les infrastructures, déployer des canaux, accompagner les clients, avec une mobilisation forte des équipes et en offrant souvent les dépassements forfaitaires liés à la crise. Ils ont, à ce titre, joué un rôle de soutien important de l’économie.

Et si l’on considère plus particulièrement l’activité ICT?

«À ce niveau, on a vu les organisations procéder à une réallocation de leurs dépenses et investissements prévus. Ils ont été affectés à de nouvelles priorités, comme la mise en œuvre du télétravail. De manière générale, toutefois, les dépenses ICT sont en recul en 2020 en Europe. Les prestataires de services qui ont été les plus sollicités sont évidemment les acteurs du cloud public, qui ont connu une vraie envolée de leurs activités.

La crise a toutefois révélé l’importance du numérique pour le maintien des activités en période de crise. Ne peut-on pas s’attendre à voir les projets de transformation se multiplier?

«La pandémie a contribué à une réelle prise de conscience. Les acteurs vont devoir en tirer les leçons et engager des projets de transformation. Toutefois, jusqu’à présent, les projections sont prudentes. Il nous semble prioritaire, considérant la nouvelle configuration des entreprises, d’adapter les moyens dans le domaine de la cybersécurité. Nous n’avons jamais subi autant d’attaques qu’aujourd’hui. Dans beaucoup de cas, l’organisation du télétravail n’a pas été suivie d’une adaptation des mesures de sécurité à cette nouvelle configuration. Les cybercriminels, eux, cherchent à exploiter ce décalage. Nous constatons un manque de coordination entre le public et le privé au niveau national autour des enjeux relatifs à la cybersécurité.

Tous ne partagent pas un constat aussi alarmiste…

«Nous sommes conscients de cela. Je peux toutefois vous dire que, en étant proches des clients, nous avons vu des organisations subir des attaques et des infrastructures être menacées. Bien évidemment, des structures sont en place et jouent leur rôle face aux menaces. Au cœur de la crise, je suis d’avis que cela n’a pas suffisamment bien fonctionné. On aurait pu faire mieux. C’est un enjeu stratégique. À l’heure actuelle, il nous faudrait un ministre de la Cyberdéfense autant qu’un ministre de la Défense.

Au-delà de la cybersécurité, dans quels domaines le Luxembourg et les structures qui constituent son économie devraient-ils investir en priorité?

«Nous devons faciliter le mouvement vers le cloud, et notamment le cloud public sous toutes ses formes. Dans cette perspective, il nous faut un cadre européen permettant l’adoption de ces outils tout en garantissant notre souveraineté numérique. Les régulations et initiatives allant dans ce sens s’accélèrent, avec les préconisations de l’EBA ou encore autour du projet Gaia-X. Nous assistons à un changement majeur dans le monde de l’ICT, avec un renforcement des investissements dans le cloud, la cybersécurité et les réseaux.

Les résultats du Digital Economy and Society Index (Desi) 2020 révèlent que le Luxembourg accuse toujours un retard comparé à ses homologues européens en matière d’intégration des technologies numériques par les entreprises. Comment expliquer ce retard?

«À ce niveau, il faut faire une distinction entre les grandes entreprises, qui ont souvent adopté des technologies avancées, et les PME, qui doivent encore opérer leur transformation. Pour les soutenir, d’importants efforts ont été réalisés par l’État. Nous pensons toutefois qu’il est possible d’aller plus loin en la matière. L’administration, en accélérant sa transformation numérique, devrait être en mesure d’emmener de nombreux acteurs dans son sillage. Dans cette optique, la généralisation de la facturation numérique, par exemple, devrait constituer une mesure prioritaire.

Ce n’est donc pas qu’une question de capacité d’investissement?

«Non, je ne crois pas. Ou du moins pas uniquement. Pour s’engager dans un processus de transformation, il faut pouvoir en comprendre les enjeux. Il est aussi très important d’accompagner les dirigeants, de les former, mais aussi de leur donner de bonnes raisons de se numériser. En la matière, le développement des compétences numériques constitue aussi un défi crucial. Cela doit commencer dès l’école primaire et se poursuivre tout au long de la vie. La crise a révélé de nombreuses lacunes en matière d’usage des technologies. Par exemple, certains enseignants n’ont pas été en mesure d’assurer le télé-enseignement. À l’école comme ailleurs, on constate de grandes disparités dans la capacité à utiliser les outils. Ce n’est pas une question d’âge, mais bien d’état d’esprit. Dans un monde où les évolutions s’accélèrent, le numérique doit être considéré comme un levier d’inclusion.

Le gouvernement actuel imagine le pays en smart nation. Quel regard portez-vous sur les accomplissements réalisés en la matière jusqu’alors?

«Au niveau d’ICT Luxembourg, je dois dire que nous sommes impressionnés par ce qui a été réalisé, sous l’impulsion notamment du ministère de la Digitalisation. Vraiment, on va dans le bon sens et je suis persuadé que les fruits des efforts engagés se feront ressentir dans les mois à venir. Une transformation profonde s’opère. Elle devrait profiter à l’ensemble des citoyens et contribuer à l’attractivité et au renforcement de la compétitivité du pays.

Le déploiement de la 5G a débuté au Luxembourg. Pouvez-vous nous rappeler les enjeux inhérents à la mise en œuvre de cette nouvelle génération de réseau?

«Luxembourg a en effet entamé la transition vers la 5G. Les licences ont été attribuées le 22 juillet. Nous avons lancé le service le 23 octobre. Le gouvernement, le Service des médias et des communications et l’ILR ont mené un bon travail sur ce dossier. Il y a encore lieu d’optimiser les procédures liées à l’autorisation d’exploitation des antennes pour faciliter le déploiement et la gestion du réseau dans le temps. Pour cela, nous échangeons de manière constructive avec l’Administration de l’environnement pour trouver un modus operandi qui puisse satisfaire tout le monde.

Qu’est-ce qui justifie le passage à une nouvelle génération de réseau?

«Le développement de la 5G, au Luxembourg, constitue une nécessité dans la mesure où les réseaux actuels devraient prochainement arriver à la limite de leur capacité en raison du développement des nouveaux usages.

C’est en réalité pour les entreprises que la 5G devrait ouvrir le champ des possibles. Que permettra-t-elle de faire de plus?

«Il est vrai que pour la plupart des consommateurs, il n’y a pas lieu de parler de révolution, mais d’évolution. Le nouveau réseau permettra de proposer un service amélioré, une augmentation du débit, une réduction de la latence. Pour les organisations, toutefois, la 5G permet d’envisager de nouvelles applications liées à une meilleure collecte et utilisation des données, notamment grâce aux objets connectés et à l’intelligence artificielle. La technologie doit nous faire entrer dans l’ère de l’industrie 4.0. Le transfert des données sera par exemple facilité, permettant d’accéder rapidement à une puissance de calcul supérieure, située dans le cloud et non plus sur le mobile.

Comment accompagner l’innovation au départ de la 5G?

«De nombreuses nouvelles applications, dans ce domaine, devraient pouvoir émerger. Un des enjeux sera d’accompagner les organisations pour les identifier et les mettre en œuvre. Dans ce contexte, le Luxembourg s’inscrit dans une dynamique d’innovation autour d’initiatives dans divers secteurs, comme l’industrie, la finance, le transport, les soins de santé. Elles sont portées par l’État, avec invitation lancée aux acteurs privés d’y prendre part. Ce que nous faisons avec enthousiasme. Nous n’en sommes toutefois qu’au début. Tout reste à construire. À nous de continuer à faire bénéficier le plus grand nombre des possibilités offertes par les technologies.»

Cet article a été rédigé pour  le supplément Paperjam Plus – ICT  de l’édition magazine de  Paperjam datée de janvier  qui est parue le 17 décembre 2020.

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